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Les gueules cassées du pétrole norvégien


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Il y a trente ans, la Norvège découvrait du pétrole en mer du Nord. Soumis à des cadences infernales, les scaphandriers plongent sans mesures de sécurité. Souffrant de séquelles physiques ou de troubles du comportement, les rescapés demandent aujourd'hui à l'Etat de reconnaître sa responsabilité.

 

Par Olivier TRUC

 

jeudi 13 mai 2004 (Liberation - 06:00)

 

Stavanger (Norvège) envoyé spécial

 

 

 

 

ntre 1 h 30 et 2 heures du matin, les ruelles du vieux Stavanger se remplissent d'une foule jeune et chancelante. Le samedi soir, c'est l'heure de fermeture des innombrables bars et pubs branchés de cette ville côtière de 110 000 habitants, dans le sud-ouest du pays. Devenu dans les années 70 la capitale norvégienne du pétrole, Stavanger est désormais l'eldorado des fêtards, une minimétropole cosmopolite et orgueilleuse transformée au rythme des contingents d'employés des multinationales pétrolières et gazières.

 

Trente ans plus tôt, entre deux missions en mer du Nord, Guy Tassier aurait été de ces noctambules qui semblent dépenser sans compter. En juin 1972, à son arrivée, il est même l'un des nouveaux seigneurs de Stavanger. A 27 ans, ce scaphandrier français de la Comex, une société d'ingénierie sous-marine dont la maison-mère est basée à Marseille, fait partie des tout premiers plongeurs * Français pour la plupart * de l'épopée pétrolière norvégienne. Sans eux, les premières gouttes de pétrole qui font la richessede la Norvège n'auraient pas jailli.

 

Payé cinq fois le salaire moyen norvégien, Guy Tassier et ses copains étaient des pionniers, ils faisaient un métier dangereux, ils étaient riches. La Norvège les aimait. «Nous n'oublierons jamais», lança, en 1973, le Premier ministre à ces aventuriers des grands fonds, deux ans après le démarrage de l'exploitation du premier champ pétrolier d'Ekofisk. Depuis, 22 milliards de barils de pétrole brut ont été produits sur le socle norvégien.

 

Mais ce samedi soir de 2004, plongé dans la nuit, Guy Tassier lutte. Dans son petit appartement de la banlieue de Stavanger, abandonné par sa femme, avec la retraite minimum * «celle d'une femme de ménage qui aurait travaillé dix ans», dit-il *, assis face à son ordinateur, il s'abrutit des heures sur des jeux sur Internet. Des années qu'il ne fait plus que cela, pour éviter un sommeil trop léger qui risquerait de libérer ses cauchemars. Mais les cauchemars frappent quand même. «Je me noie presque chaque nuit», souffle Guy Tassier. Prisonnier d'un labyrinthe sous-marin dont il ne trouve jamais la sortie.

 

Combien sont-ils comme Guy Tassier, en Norvège, mais aussi en France ou en Grande-Bretagne, ces anciens scaphandriers dont la vie a basculé au fond de la mer du Nord ? Selon des chiffres collectés par deux anciens plongeurs norvégiens, Rolf Guttorm Engelbretsen et Tom Engh, sur les 235 plongeurs de l'époque pionnière (entre 1968 et 1985) qu'ils ont identifiés, 66 sont morts en plongée - mais les autorités norvégiennes ne peuvent confirmer ces chiffres, faute de registres précis. Au moins 18 se sont suicidés. La plupart des survivants ont des lésions cérébrales, des troubles du comportement et de la mémoire, des séquelles physiques et psychologiques.

 

Comme beaucoup d'autres, Guy Tassier ne supporte plus de voir du monde. «Il suffit que quelqu'un me demande comment je vais pour que j'éclate en larmes.» Lorsqu'il avait encore une famille, il lui arrivait de s'enfermer dans la cave durant des jours entiers. Chez des amis, il quittait subitement la table et partait. Personne ne comprenait, pas même sa femme. Elle l'a quitté le jour où l'Etat norvégien lui a accordé sa modeste retraite. «Mon erreur, c'est de ne rien lui avoir raconté. Mais quand je rentrais de mer du Nord, je ne pouvais quand même pas lui dire que j'avais failli y rester trois jours plus tôt, qu'on m'avait remonté évanoui dans la tourelle, que j'avais encore perdu un copain. Elle n'aurait pas pu vivre avec ça.» Le scaphandrier gardait tout pour lui : accidents de plongée, coupures de gaz, mauvais mélanges. Les expériences en vue de nouveaux forages pour tester les réactions humaines à très haute pression, les cadences infernales au mépris des règles de sécurité, les décompressions brutales. Mais aussi les morts violentes à 200 mètres sous l'eau, les types qui paniquent sous la tourelle et coupent le cordon de leur collègue en plongée, le condamnant à mort.

 

Un labyrinthe sous-marin

 

Jour après jour, à 100, 200, 300 mètres de fond, les plongeurs alternaient soudure, plomberie, maintenance, dans le noir, dans le froid. En 1978, à deux semaines d'intervalle, Guy est victime de deux accidents de décompression. Au second, la moelle épinière est touchée, il perd une partie de sa sensibilité motrice. La Comex le remercie. Interrogée par Libération, la société, qui a cessé ses activités pétrolières offshore en 1992, admet les risques encourus, mais relativise: «On peut considérer que le danger restera toujours présent dans cette profession, mais il n'est pas plus important que dans le bâtiment et provoque actuellement moins d'accidents que la plongée sportive de loisirs», constate Bernard Gardette, son directeur scientifique.

 

Le plongeur se retrouve sur le carreau, avec ses seules économies. On essaye de le former au métier de charpentier. Mais les lésions sont trop dévorantes: il perd souvent l'équilibre, se casse une hanche, les arrêts maladie s'accumulent.

 

Un jour, il tente de se supprimer pour mettre fin à ce cauchemar. Lorsqu'il se réveille à l'hôpital, il est questionné par un jeune psychiatre norvégien qui a étudié aux Etats-Unis et pratiqué dans un hôpital de vétérans du Vietnam. «Je présentais les mêmes symptômes à 100 %. C'est là que j'ai commencé à comprendre que ce que l'on faisait, c'était la guerre. On mettait notre vie en jeu chaque fois. On voyait la mort en face. Après un accident de plongée, à la remontée, on nous tapait sur l'épaule et on nous renvoyait au fond le lendemain. Il fallait que le pétrole sorte, coûte que coûte.»

 

Rolf Engelbretsen, qui habite non loin de Stavanger, se rappelle cette incroyable époque. Ex-nageur de combat, l'élite de l'armée, il avait reçu l'ordre au début des années 70 de rejoindre la mer du Nord, tant le royaume manquait de plongeurs. Spécialiste des missions impossibles, il était, comme ses camarades, certifié pour plonger à 60 mètres. Or, dès sa première plongée en mer du Nord, on l'envoie à 157 mètres de fond. Lui aussi raconte les cadences infernales, les accidents à répétition sur lesquels il faut garder le silence : «Nous servions de cobayes.» Lui aussi, après un accident en 1992, s'est retrouvé sur le carreau, sans aide. Ce type sec et dur lance : «Parfois, je m'écroule dans un coin de la maison et je pleure pendant des heures.»

 

Un jour, il y a une dizaine d'années, Rolf Engelbretsen retrouve son ami Tom Engh qui habite au sud d'Oslo et campe dans le garage de sa maison inachevée. Ils constatent qu'ils se trouvent dans un état semblable. Et commencent à essayer de retrouver les anciens. Discrètement d'abord, ils rassemblent des documents et découvrent que, dès le début des années 70, les autorités connaissaient tout des risques, mais ont choisi tout de même d'envoyer les plongeurs. Plusieurs rapports de chercheurs restent enfouis dans les tiroirs. Les deux hommes réalisent qu'il a fallu attendre 1985 * vingt ans après la découverte du pétrole norvégien * pour que cette profession, l'une des plus dangereuses au monde, soit enfin régulée. Et qu'il a fallu dix ans de plus, en 1995, pour que ce métier soit intégré dans la législation norvégienne du travail. Comment l'expliquer, s'interrogent Rolf Engelbretsen et Tom Engh, sinon par le fait que, s'il avait fallu respecter les procédures, réaliser les tests de plongée, les valider, établir des tables de décompression irréfutables, des années de recherche auraient été nécessaires, autant d'années de production pétrolière perdues ? Un luxe que la Norvège et l'Europe, confrontées aux chocs pétroliers, ne pouvaient se permettre.

 

Corruption d'Etat dénoncée

 

En 1999, les deux hommes créent l'Alliance, qui rassemble à ce jour plus de 160 anciens scaphandriers. Ils voudraient retrouver d'autres confrères, notamment en France. Et ils demandent des comptes à la Norvège. Démarre alors un bras de fer avec à un Etat muet sur le sujet . «La Norvège est tellement bonne pour donner des leçons de droits de l'homme aux autres», s'insurge Rolf. Et de noter aussi qu'Eva Joly, l'ancienne juge de l'affaire Elf en France, aujourd'hui employée par le ministère norvégien de la Justice pour lutter contre la corruption internationale, a décliné la demande d'aide des plongeurs pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une corruption d'Etat, expliquant, dans un courrier daté du 27 février dernier, qu'elle risquerait «une situation de conflit avec (son) employeur, l'Etat norvégien».

 

En 2000, celui-ci finit par lâcher jusqu'à 200 000 couronnes (25 000 euros) par plongeur. Après qu'une commission d'enquête gouvernementale a conclu fin 2002 à la responsabilité de l'Etat et des compagnies pétrolières - mais pas celle des sociétés de plongeurs type Comex -, et sous la pression de l'opinion norvégienne, le Parlement a décidé d'attribuer il y a quelques semaines jusqu'à 2,5 millions de couronnes (320 000 euros) à certains plongeurs. «Trois ans de salaire qu'on touchait en plongée. Une honte», répondent-ils, face à la misère financière, physique et psychique dans laquelle vivent depuis si longtemps la plupart de ces hommes qui ont besoin d'être assistés.

 

Depuis l'an dernier, les autorités norvégiennes ont établi à 180 mètres la limite pour toute plongée humaine sur le socle norvégien. En 2002, une ultime simulation de plongée à 250 mètres réalisée à Bergen s'est soldée par six blessés sur huit plongeurs. Einar Andersen, l'un d'entre eux, a vu sa carrière brutalement stoppée. Il lui reste ses vertiges et les allocations sociales.

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  • 2 years later...

les rescapés et les oubliés de la mer du nord

 

j'ai été très touchée par cet article sur les scaphandriers et leur conditions de plongée extrême, d'autant plus que mon frère y a participé entre les années 70 et les années 80 en travaillant dans un premier temps pour la COMEX et ensuite pour la CG DORIS.

Malheureusement celui-ci est mort tragiquement (je n'' expliquerai pas les détails ici) mais quand je lis les conditions difficiles de ces scaphandriers à l'époque, je m'interroge beaucoup sur les circonstances qui ont amené mon frère à disparaitre et le lien que cela peut avoir.

C'est pourquoi je souhaiterais discuter avec des plongeurs qui ont travaillé dans ces années là et pour ces deux entreprises.

Mon frère s'appelait Jean et j'aimerai beaucoup être en contact avec des personnes qui l'ont connu.

Merci infiniment à ceux qui pourront me répondre

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cette emission est passée la semaine dernière à la T.v.et a commenté cette histoire des "gueules cassées".

Très poignant comme reportage,ainsi que les differents temoignages des ex plongeurs.

J'espère qu'elle repassera car j'ai manqué les 5 premières minutes.

 

Peux tu me dire a quelle chaine est passé ce reportage et quand?

 

Merci

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  • 3 weeks later...

Bonjour à tous,

Je viens aussi de visionner ce reportage qui est super bien fait.

C'est vrai, que dans les années septante beaucoup d'accident de plongée professionnelle ont eut lieu en mer du Nord et ailleurs car comme le dit le reportage on envoyait sur chantier n'importe qui et en même temps on plongeait de plus en plus profond sans vraiment avoir un retour sur l'efficacité des tables de plongées (très) profondes.

Il est vrai, qu'en mer de Nord, ce sont à l'époque ceux qui travaillaient sur le secteur Norvégiens qui "morflaient" le plus car ils faisaient parfois des plongées unitaires jusqu'à 150 voire 170 m.

Dont cela signifiait une compression extrêmement rapide (+/- 50 m/min.) suivi à chaque fois d'une décompression éprouvante.

Ce type de plongée était surtout pratiquée sur les plateformes de forage où il ne fallait plonger qu'en cas de problème.

Sur les autres chantiers de construction, on a très vite privilégié la plongée en saturation qui était nettement moins néfaste pour la santé.

Le reportage nous parle également de tous ces plongeurs Norvégiens qui ont maintenant ces problèmes psychologiques et qui pour certains les ont menés au suicide.

C'est vrai, que la même chose existe pour les plongeurs Anglais et Français qui ont travaillés dans l'offshore à cette époque là, ou plus tard.

A ce sujet et bien qu'en étant pas médecin, je pense personnellement que bon nombre de ces problèmes sont également lié au fait qu'à l'époque de l'offshore, bon nombre de plongeurs n'ont pas su gérer l'argent qu'ils gagnaient, et beaucoup menaient la grande vie sans trop ce préoccuper de l'avenir.

Ce qui fait que lorsque le travail a commencé à diminuer certain d'entre eux n'avaient aucune porte de sortie.

De plus, il est vrai que faire autre chose après avoir été plongeur professionnel offshore n'est certes pas facile car malgré la vie parfois très stressante et dure des chantiers il y régnait souvent un esprit de camaraderie que l'on ne retrouve pas facilement dans d'autre profession.

Papy One

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Oui , c'est le remerciement des riches devenus très riches grâce au fait qu'ils ont pu sacrifier de pauvres types sur l'autel de leurs profits indécents .

Et à présent, ils les laissent dans leur m.... avec une condescendance navrante et ricanante, du haut de leur montagne de dollars .

"On vous oubliera jamais, les gars !!! " :bravo:

 

Bah, l'histoire se répète sans fin : voir simplement la montagne de morts et de "gueules cassées" qu'a produit la stupide guerre de 14-18, juste pour la "sauvegarde" des intérêts de quelques uns ....

bon, on va pas refaire le monde : il est suffisament pourri comme ça :malade: .

 

A l'eau, citoyens :mad:

jp

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  • 2 months later...

en 1973 apres avoir passé le brevet élémentaire de plongée, ancêtre du N1, je voulais devenir plongeur pro, un de mes cousins travaillant dans ce domaine m'en avait dissuadé évoquant la dureté de ce metier aux antipodes de la plongée loisir, bien m'en a pris de suivre ses conseils. je suis resté très longtemps N1, j'ai retrouvé sa lettre il y a 2 semaines, pas de regrets, si ce n'est de ne pas voir été plus assidu en plongée loisir, mais c'est réparé maintenant.

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