(certes... avec des gants de vaisselle !)
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’est l’instant redouté : je dois me mettre debout. J’ai 17 kilos de casque sur la tête, plus 15 kilos de lest, plus le poids du harnais et du bloc de secours... le total est plus de la moitié de ce que je pèse !
Soudain dans le casque j’entends: «
P1, autorisation d’immersion ». J’entame alors ma première descente officielle en tenue de scaphandrier dans le port de la Pointe Rouge à Marseille. Certes, c’est pour les besoins du reportage que Philippe enregistre mon exploit, mais pour Frédéric et Laurent, l’instructeur, je ne suis qu'une stagiaire comme un(e) autre. Barreau par barreau, je descends l'échelle.

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1 : Première descente de l’échelle.
2 : Premières bulles.
J’ai mal aux oreilles. Les casques professionnels, tel le Kirby Morgan 17 que j’ai sur la tête, sont équipés d’un « bourre-pif », une sorte de tige en forme de « Y » sur lequel on appuie le nez pour décompresser. Au début ce n’est pas évident à faire fonctionner et sachant qu’il faut que je remonte un peu pour arriver à faire passer mes oreilles, je saute sur un gros bloc de pierre. En insistant un peu, mes oreilles passent.
Le rocher est glissant et il faut que je m'habitue à marcher sur un fond que je distingue mal, n’ayant pas de vision vers le bas car je ne peux pas me pencher en avant ; mais je n’ai pas du tout de sensation de lourdeur. D’un côté j’ai peur de me casser la figure et finir les pieds en l’air, puis de l’autre j’ai l’impression d’être soutenue par une bulle sur la tête. Après tout, ce n’est pas désagréable, bien au contraire, et je fais signe à mon accompagnateur P2 que je suis prête pour la promenade.

Les scaphandriers sont toujours appelés P1 et P2 pour éviter une confusion entre les prénoms ou les prononciations bizarres.
P2 s’appelle en réalité Sylvain, et comme Frédéric il suit le stage classe 2 mention A à l’INPP, l’Institut National de la Plongée Professionnelle. Je n’aurais pas la même mention qu’eux: la mention A donne le droit à l’utilisation d’outils pour effectuer un travail de scaphandrier, tandis que la mention B concerne toutes les autres activités: archéologue, biologiste, cinéaste... et journaliste !

Au fond du port, j’explore l’épave d’un camion-citerne et j'essaie de ne pas me coincer les pieds dans divers chaînes et cordages. Il y a une ancre énorme, des blocs de bétons, des trépieds en ferraille pour s’entraîner à la soudure et même un container. Les stagiaires en classe A seront enfermés dans le container pour s'accoutumer à l’inspecter dans le noir complet. Ils apprendront également à tenir une lance d’eau pressurisée pour déblayer un fond de canal avant de faire couler le béton d’un pilier de pont, à souder des plaques de ferraille sur la coque trouée d’un bateau, à vidanger les matières dangereuses d’un camion-citerne tombé dans une rivière ou à mesurer les distances entre deux points. Et moi, l’apprentie classe B, je les regarde faire pour les besoins du reportage. C’est franchement éclatant comme expérience.
«
P1 et P2, vous revenez à l’échelle ». C’est déjà fini ? Quel dommage ! Avec l’air en continu fourni par le narguilé, j’aurai pu rester deux ou trois heures au fond du port, mais d’autres stagiaires attendent leur tour.
Le stage dure huit semaines pendant lesquelles les élèves ont tout juste le temps de mémoriser toutes les mesures de sécurité et de découvrir l'usage des différents équipements. J’ai déjà appris la procédure de sécurité avant chaque mise à l’eau, à lire la pression de ma bouteille de secours, comment passer sur cette bouteille de secours et à purger le casque en cas de panne de l'air venant du narguilé. Le narguilé peut aussi servir pour nous ramener à quai, ou vers le bateau, dans le cas d’un manque total de visibilité.

Je sors la tête de l’eau et je sens tout de suite que quelqu’un est là pour m’aider, car le scaphandrier professionnel n’est jamais seul. C’est un travail d’équipe et en dehors de l’immense joie que m'a procuré cette première plongée en « lourd » j’ai adoré le confort d’avoir toujours une présence attentive à mes côtés.
Je sais que dans la réalité du monde de travail Frédéric et Sylvain affronteront sans doute des eaux très polluées, voire même des stations d’épuration, et ils se trouveront plus souvent dans le froid et l’obscurité que survolant des bancs de poissons ou explorant une épave. Le partenaire de leurs plongées ne sera pas celui qui les accompagne au club le dimanche, mais celui qui fixe leur casque sur la collerette, tient leur narguilé, et surveille toujours leurs jauges en surface parce que leur vie en dépend. Ils gagneront, en revanche, beaucoup plus que la journaliste. Financièrement, je veux dire, mais côté plaisir… cela reste à prouver !

Enfin, pour répondre déjà à la question :
oui, ce sont des gants de vaisselle ! Le port est pollué et puisqu’il n’y avait que des gants taille homme, il a fallu me les scotcher aux poignets.
[nice_info]Pour toute information sur les stages à l’
INPP.[/nice_info]
Toutes les photos sous-marines sont de Georges PREVOT
Toutes les photos terrestres sont de Guillaume BALDY