19/05/2010
par Plongeur.com
Adieu Brigitte, on t
Froide comme une dépêche d’agence de presse, froide comme le fond de la mer à Dahab, la nouvelle nous est parvenue par un triste après-midi de mai : Brigitte Lenoir est décédée lors de sa première tentative de record féminin de profondeur.
lle avait tout juste 40 ans et laisse un fils, Dylan, de 11 ans. Elle a fait la une de plongeur.com plusieurs fois au printemps 2010, lors de l’annonce de ses records de profondeur, et pendant ses entraînements dans les lacs suisses. Elle avait provoqué plusieurs commentaires sur le forum, mais, surtout, elle avait soulevé une vague de sympathie par son caractère et sa détermination.
Là-bas, dans le golfe d’Aqaba, la mer est très profonde. Un peu au nord du Blue Hole, vers le site de Shells, la faille descend à 800 mètres. Brigitte n’en voulait pas tant : 200 mètres devaient suffire pour combler sa soif des abysses et l’emmener vers son but, être la femme la plus profonde du monde. Elle aimait les défis. Elle relevait chaque défi que la vie lui balançait, et elle le surmontait. Comme l’alpiniste qui veut gravir les plus hauts pics du monde, elle était attirée inexorablement vers le fond, le noir, l’inconnu. Elle rêvait d’aller là où aucune femme n’est jamais allée, malgré les difficultés et les interdits.
En face du désert du Sinaï, la mer Rouge est chaude et bleue. C’était en petite, mais bonne compagnie, que Brigitte avait préparé la descente qui devait combler son rêve, et l’inscrire à jamais parmi les noms légendaires de la plongée. Depuis ses débuts, en 2001, quand elle a ressenti pour la première fois le magnétisme du grand bleu, elle a cherché à aller toujours plus loin vers le fond. Quelle frustration à ses débuts d’être bridée à vingt mètres – et quelle joie se lisait dans son visage quand elle s’était lancée dans la plongée tek quelques années plus tard, et que le compteur de son profondimètre commençait à afficher trois chiffres !
Elle poussait son corps jusqu'au maximum de ses capacités. Vélo, natation, randonnée, escalade, ski, snowboard pendant ses loisirs, elle avait accéléré la cadence durant les mois d’entraînement précédant sa tentative de record, ajoutant un peu de footing, de body-building, de tai chi et des exercices cardio. Brigitte était convaincue que la plongée tek n’était pas uniquement un « sport de mec », mais aussi une activité dépendant du mental de celui ou celle qui la pratiquait. Son côté féminin accentuait cette croyance : elle adorait dire qu’elle ne quittait ses talons hauts que pour chausser ses palmes.
Les journalistes suisses qui suivaient son parcours avaient certes du mal à comprendre le fonctionnement d’un recycleur, mais remarquaient tous ses yeux maquillés, ses cheveux coiffés et les bijoux sous son lourd équipement.
Brigitte habitait à Monthey, une petite ville entre le lac Léman et les Préalpes valaisannes. Elle était courtière en immobilier et pompier volontaire, bien appréciée pour ses capacités en plongée de sauvetage. La température des lacs dans lesquels elle aimait se tremper ne dépassait guère 4 ou 5 degrés en hiver comme lors de son immersion à -154 mètres le 10 avril 2010. Elle se fichait du froid comme des conditions météo : ce n’était que quelques défis à ajouter à de petits soucis de santé que d’autres femmes, moins fortes qu’elle, auraient accepté, en arrêtant la plongée. Pour Brigitte, récupérer d’une opération du cœur était obligatoire pour mieux plonger sur sa falaise préférée, une descente verticale de 190 mètres dans le quasi-noir et le froid extrême.
L’après-midi du 14 mai 2010, quand Brigitte a tenté son record mondial féminin de profondeur à Dahab, elle n’était sûre que d’une chose : elle s’était préparée du mieux qu’elle pouvait. Accompagnée par Pascal Barnabé, lui-même détenteur du record mondial de profondeur en circuit ouvert à -330 mètres et de deux plongeurs de l’extrême hautement qualifiés, Thierry Marra et Nicolas Schiavon, Brigitte s’est laissée aller vers les abysses. Elle est descendue dans son rêve, vers l’endroit interdit, comme appelée par une sirène du fond.
Peut-être qu’elle l’a rencontrée – nul ne le saura jamais. A -147 mètres, à la remontée, son recycleur a connu un problème technique. Une vanne est restée ouverte, lui envoyant une dose mortelle d’oxygène. Ses binômes n’ont rien pu faire. Comme pour une cordée en montagne, le poids d’un corps aurait entraîné inévitablement la mort de tous, alors Brigitte est partie rejoindre la sirène du fond.
Elle y repose désormais, la femme la plus profonde du monde, laissant remonter de temps à autre de grandes vagues de tristesse qui submergent ceux qui l’aimaient et qui la soutenaient.
Une cérémonie religieuse aura lieu mercredi 19 mai à 10h00 Eglise catholique de Monthey (VS)
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Texte : Carole Pither Photos : Daniel Saldana
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